Buridane, jeune lyonnaise, s’est fait remarquer à plusieurs reprises depuis 2009 par de grands festivals comme Alors Chante, le Printemps de Bourges et les Francofolies. Elle y a d’ailleurs remporté le « Prix Adami Première Franco » suite à sa participation au chantier. Et c’est sur la route par hasard que j’ai eu l’occasion d’apprécier son talent. Une première fois en ouverture de Guillaume Ledoux et la seconde, excusez du peu, au Casino de Paris en première partie de K’s Choice.
C’est donc deux ans après son EP « Comme avant » et avec Pierre Jaconnelli que Buridane nous concocte un album « Pas fragile » pour l’automne 2012.
Pour nous faire patienter écoutons ce qu’elle écoute.
Sa playlist VIP :
- « Mon homme » – Mistinguett : Quand j’écoute cette chanson, je vois Arletty dans Les enfants du Paradis, sa gouaille. J’aime les vieilles choses, leur atmosphère, leur gueule d’atmosphère… Carné, Fréhel, la cuisine de grand-mère, les bureaux d’écolier, les vieilles voitures… et bientôt le disque ! J’y trouve du charme, c’est mon petit côté poussiéreux, anachronique et pas très moderne. Cette voix, ce son, c’est le temps qui s’arrête. L’illusion d’être ailleurs ou de vivre en noir et blanc. Je m’y vois. Il en existe une très belle version, chantée par un homme, Charlie O, sur le disque ovni « Au Bordel », de Noël Akchoté.
- « Monkberry Moon Delight » – Paul Mc Cartney : J’aimais les Beatles, mais un peu comme tout le monde. Et puis on m’a offert « Ram », le deuxième disque solo de Paul Mc Cartney. J’ai reçu comme un petit coup de courant. Je trouve sa musique bizarre. Moi qui compose en général autour de trois accords, je me demande comment il fait pour écrire des choses si compliquées et au final, obtenir une musique si fluide, si parfaite, que tu peux l’écouter à peu près cent soixante-douze fois sans te lasser, et ce à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Ce morceau est sans doute mon préféré. Il me donne envie de pousser le son très fort, et de secouer la tête très fort d’avant en arrière, tout en souriant et en plissant le nez.
- « Long Tall Sally » – Little Richard : Lui, il est fou. Comme beaucoup à l’époque. Je suis fan de cette époque, et fan de ce rock là. Sauvage. Il faut le voir jouer. Banane et petite moustache, il martelait comme un dingue son piano, parfois même il relevait sa jambe pour jouer avec son talon. Les yeux exorbités. Parfois les paroles on s’en fout. Tout ce qu’on demande c’est du bruit et du frisson. Que ça cogne. Nick Cohn a écrit un super bouquin bourré d’anecdotes truculentes sur l’histoire du rock, de Bill Haley à Jimi Hendricks: A wop bop a look bop a lop bam boom (titre issu d’ailleurs de Tutti Frutti, l’une des chansons de Little Richard !) Il y a des descriptions de ses prestations scéniques qu’il ne faut louper pour rien au monde.
- « Remède » – Batlik : Pour moi c’était un ovni. Cette voix tellement étrange, tellement unique, son phrasé. A l’époque, je ne faisais pas de musique, ou très peu. Et j’avais pas vraiment de culture musicale. A la maison, y’avait ni Brassens ni Brel ni Barbara, pas même les Rolling Stones. J’ai vu dans ses chansons tellement de liberté, de chemins de traverse. Cette écriture si différente, ce jeu de guitare original provenant de son affection pour Ani di Franco. J’ai eu un déclic. Je me suis dit ah oui, on peut faire ça… La chanson ça peut être ça. J’ai appris à jouer de la guitare en écoutant ses disques. Un jour j’ai fait ce truc stupide de lui envoyer un mauvais mp3 d’un enregistrement maison. Avec le recul, c’était vraiment mauvais, mais il m’a quand même encouragée. Ce fut précieux. Aujourd’hui quand on me demande mes influences, il est l’unique nom que je peux citer. Entre l’imitation et l’inspiration la frontière est parfois fragile. J’espère être du bon côté de cette frontière.
Et cette chanson, elle groove non de non ! Ose me dire que tu bouges pas la tête. Elle est pleine d’humour, d’autodérision, de tendresse et d’authenticité. - « La peur de l’échec » – Orelsan : A part quelques titres de La Rumeur, I AM ou Casey, je n’ai aucune culture rap. Ce que j’aime c’est cette idée de texte au centre. Cette façon de jouer avec les mots, leur rythme. Avant pour moi, dans l’écriture d’une chanson la musique était secondaire. Il fallait déjà que les mots sonnent entre eux. Que ça danse. Le rythme c’est le mouvement. Le flow du rap me fascine, ça m’hypnotise, et ça me prouve que la langue française peut groover. Je me suis retrouvée avec cet album dans les mains un peu par hasard. J’ai tout écouté, comme une histoire. Je l’ai trouvé franchement gonflé, provoquant, crû et dans le fond ça me plaisait. Ce qui me touche dans cette dernière chanson de l’album, c’est cet aveu de faiblesse. Aveu d’humanité. Dans ce qu’il dit, dans sa musique, dans ce qu’il fait, tout est entier et assumé. J’aime ça. Je n’aime pas forcément sa musique, ni toujours ce qu’il dit, mais j’aime son audace, son parler direct et brutal avec lui-même comme avec les autres.
- « Splitting the atom » – Massive Attack : J’en étais restée à leur premier album Mezzanine, c’était parfait pour nos trucs bizarres de danse contemporaine. Et puis j’ai redécouvert Massive Attack avec ce dernier album Heligoland. Il y a quelque chose de très physique dans leur musique, quelque chose qui implique le corps, qui te fait bouger à l’intérieur. Et paradoxalement ce morceau me paralyse. Il y a quelque chose qui monte qui monte doucement, trop doucement, sans jamais parvenir à l’explosion. Et ça dure. C’est presque pas supportable, tu veux que ça exulte, que ça explose… et rien. Et à la fois c’est ça qui est bon.
- « Again » – Archive : En tournée, sur la route, je peux écouter les disques d’Archive pendant des heures. Plusieurs morceaux dans un morceau, rarement moins de cinq minutes. Chaque petite phrase musicale, chaque rythmique qui s’ajoute à une autre, comme un puzzle. C’est une musique narrative, un film entier. Je nous vois dans le camion nous approprier chacun un bout de rythmique, un bout de clavier, une nappe, la voix du chanteur, braillant comme un orchestre de Muppets Show. Il fait nuit, il est tard, il a neigé, route de montagne, on roule à trente à l’heure. ça pourrait durer des heures. Je pourrais m’endormir. La musique a toujours quelque chose de réconfortant.
Je me souviens avoir fait écouter ce titre à un groupe de jeunes lors d’un atelier d’écriture. On a écoute plein plein de choses différentes mais celui-là je m’en souviens. Il était huit heures du matin. 16min20sec. Je n’étais pas sûre de moi sur ce coup là. Mais ils étaient là immobiles, concentrés, ils ne parlaient pas, ne riaient pas avec le voisin, certains fermaient les yeux. Dans la musique. Je n’y croyais pas. Et ils avaient aimé. Ce que ça leur avait raconté, ce que ça leur avait fait ressentir. Les seize minutes leur en avait parues cinq, et ils n’en revenaient pas que ce soit possible de faire des morceaux si longs. Ecouter, ne pas zapper, ne pas se lasser. ça n’a duré peut-être que seize minutes mais c’était déjà ça. - « Je veux nager » – Arno : Dans ses mots il y a la simplicité, la poésie et la candeur d’un enfant. Et en même temps c’est très frontal, couillu et sale comme un Bukowski. Ce qui réunit l’enfant et Bukowski: l’insolence. J’aime Arno, sa façon de marcher pas droit et en dehors de la ligne, son rock un peu de traviole et son accent musclé. Il peut dire « tête de veau » ou « aftershave » dans sa chanson, c’est pas maladroit. Dans sa bouche, tout devient terriblement bouleversant. Il faut voir absolument son Live in Brussels. Tellement habité. Tellement tellement habité. Pff.
- « Autour de Sade » – Fred : C’est encore un album entier que je voudrais encenser. Cette chanson, elle est tout ce que j’aime chez Fred : son phrasé cousin du rap, cette rage mêlée à cette douceur, son regard pointu, l’observation et l’introspection, un peu dedans un peu dehors. J’aime d’autant plus cette chanson qu’elle arrive à me parler et me transporter sans que je n’y comprenne rien. Je la trouve superbement écrite, dans le son de ses mots, dans son rythme, elle fait naître plein d’images, j’en prends des bribes, j’y vois ce que je veux, et ça fait du sens. Magie.
- « France Culture » – Arnaud Fleurent-Didier : J’ai rarement vu un tel talent d’écriture. Cette chanson (mais comme toutes les autres) te capte dès qu’il ouvre la bouche et ne te relâche qu’à la dernière note. Liberté dans le vers, dans la rime, dans le ton. Pas de concessions, pas de détours, introspection et audace. J’aime les défauts, ce qui n’est pas lisse, sa voix un peu incertaine. Cette chanson me happe, me met le frisson. Et quand elle s’arrête, je suis épuisée. Je le trouve très fort.
- « The End of the Story » – French Cowboy : Hiver 2008, je traverse la France sur le siège avant droit de la voiture de mon tourneur pour donner quelques concerts solos dans le nord. Ce sont mes débuts. J’ai eu vingt-trois ans y’a pas longtemps, j’ai découvert Le Combat Ordinaire -BD mortelle de Manu Larcenet-, « Stella » le film troublant de Sylvie Verheyde. Ce disque est la BO de cette époque et du début de mon histoire. Et cette chanson est une vraie chanson de voiture qui roule vers le nord, à 110km/h sur l’autoroute, pluie battante. Elle ramène de la lumière, elle rend beau ce qui défile à la fenêtre, elle réconforte. C’est aussi la musique des French Cowboy qui a réveillé mon intérêt pour la musique, dans la chanson française. Elle aussi peut donner du sens et de l’émotion. Elle n’est pas là que pour accompagner gentiment le texte, mais aussi pour faire corps avec lui.
Teaser du 1er album : « Pas fragile », qui sortira à l’automne 2012. :
Buridane sur le web :
Concerts :
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